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Ariane Web: Conseil d'État 430543, lecture du 8 novembre 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:430543.20191108

Décision n° 430543
8 novembre 2019
Conseil d'État

N° 430543
ECLI:FR:CECHR:2019:430543.20191108
Inédit au recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Jean-Marc Vié, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX, avocats


Lecture du vendredi 8 novembre 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société par actions simplifiée (SAS) Masterfoods Holding a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la réduction, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, à concurrence d'un montant de 258 405 euros, et de contributions sociales, à concurrence d'un montant de 7 215 euros, auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2006 et 2007. Par un jugement n° 1506755 du 3 novembre 2016, ce tribunal a fait droit à cette demande.

Par un arrêt n° 17VE00724 du 12 mars 2019, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par le ministre de l'action et des comptes publics contre ce jugement.

Par un pourvoi, enregistré le 7 mai 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics demande au Conseil d'Etat d'annuler les articles 1er et 2 de cet arrêt.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention entre la France et l'Allemagne tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, du 21 juillet 1959 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Marc Vié, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la société Masterfoods holding sas ;


Considérant ce qui suit :

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'au cours de la vérification de comptabilité dont la société par actions simplifiée (SAS) Royal Canin a fait l'objet au titre des exercices clos en 2006 et 2007, l'administration fiscale a constaté que cette société comptabilisait dans un compte de produits des revenus en provenance de sa filiale de droit allemand Royal Canin Tiernahrung GmbH et Co Kommanditgesellschaft (KG), dont elle est associée commanditaire, et les déduisait fiscalement. Après avoir regardé ces sommes comme des revenus de valeurs mobilières émises hors de France, l'administration, faisant application du régime prévu aux articles 145 et 216 du même code, les a réintégrées à concurrence de la quote-part pour frais et charges de 5% dans les bénéfices de la SAS Royal Canin et a l'assujettie en conséquence à des suppléments d'impôt sur les sociétés au titre des exercices 2006 et 2007. Le ministre de l'action et des comptes publics se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 12 mars 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté son appel contre le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 3 novembre 2016 accordant à la société Masterfoods Holding, société mère de la SAS Royal Canin, la décharge de ces impositions supplémentaires.

2. Aux termes de l'article 205 du code général des impôts : " Il est établi un impôt sur l'ensemble des bénéfices ou revenus réalisés par les sociétés et autres personnes morales désignées à l'article 206 ". Aux termes du I de l'article 209 du même code, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : " Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés d'après les règles fixées par les articles 34 à 45, 53 A à 57 et 302 septies A bis et en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions ". Aux termes de l'article 38 du même code " Sous réserve des dispositions des articles 33 ter, 40 à 43 bis et 151 sexies, le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d'éléments quelconques de l'actif, soit en cours, soit en fin d'exploitation ".

3. Il appartient au juge de l'impôt, saisi d'un litige portant sur le traitement fiscal d'une opération impliquant une société de droit étranger, d'identifier d'abord, au regard de l'ensemble des caractéristiques de cette société et du droit qui en régit la constitution et le fonctionnement, le type de société de droit français auquel la société de droit étranger est assimilable. Compte tenu de ces constatations, il lui revient ensuite de déterminer le régime applicable à l'opération litigieuse au regard de la loi fiscale française.

4. La cour administrative d'appel, par des motifs qui ne sont pas contestés en cassation, a estimé que la société Royal Canin Tiernahrung GmbH et Co KG était assimilable à une société en commandite simple de droit français, dont la SAS Royal Canin devait être regardée comme associée commanditaire. Elle a pu légalement en déduire que les sommes perçues en cette qualité de la société Royal Canin Tiernahrung GmbH et Co KG par la SAS Royal Canin avaient, au regard de la loi fiscale française, la nature de revenus mobiliers devant être pris en compte, dans les limites prévues par le régime des sociétés mères, dans son bénéfice taxable, sous réserve de l'application d'une convention fiscale internationale.

5. Aux termes du paragraphe 3 de l'article 4 de la convention fiscale franco-allemande : " Les participations d'un associé aux bénéfices d'une entreprise constituée sous forme de société de droit civil, de société en nom collectif ou de société en commandite simple ainsi que les participations aux bénéfices d'une " société de fait ", d'une " association en participation " ou d'une " société civile " de droit français ne sont imposables que dans l'Etat où l'entreprise en question a un établissement stable, mais en proportion seulement des droits de cet associé dans les bénéfices dudit établissement ". Aux termes l'article 9 de la même convention : " (1) Les dividendes payés par une société qui est un résident d'un Etat contractant à un résident de l'autre Etat contractant sont imposables dans cet autre Etat. / (2) Chacun des Etats contractants conserve le droit de percevoir l'impôt sur les dividendes par voie de retenue à la source, conformément à sa législation. Toutefois, ce prélèvement ne peut excéder 15 p. 100 du montant brut des dividendes (...) / (6) Le terme " dividendes " employé dans le présent article désigne les revenus provenant d'actions, actions ou droits de jouissance, parts de mine, parts de fondateur ou autres parts bénéficiaires à l'exception des créances. (...) / (7) Dans la mesure où les dispositions des articles 4 et 6 confèrent à la France le droit d'imposer les bénéfices des sociétés mentionnées au paragraphe (3) de l'article 4, les revenus provenant de ces bénéfices, qui sont regardés comme des dividendes au sens de la législation française, sont imposables selon les dispositions du paragraphe (2) du présent article. ". Enfin, aux termes de l'article 18 de la même convention : " Les revenus non mentionnés aux articles précédents ne sont imposables que dans l'Etat contractant dont le bénéficiaire de ces revenus est résident ".

6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Royal Canin Tiernahrung GmbH et Co KG, dépourvue de personnalité juridique et fiscalement transparente selon le droit allemand, exerce en Allemagne une activité économique au travers d'un établissement stable et que la SAS Royal Canin, en sa qualité d'associé commanditaire unique de cette société, acquitte l'intégralité de l'impôt sur les sociétés allemand dû à raison des bénéfices résultant de cette activité. En relevant, d'une part, que les stipulations du paragraphe 3 de l'article 4 de la convention fiscale franco-allemande, dont la version allemande renvoie précisément aux participations d'un associé dans les bénéfices d'une " Kommanditgesellschaft ", impliquent que les participations d'un associé commanditaire résident de France aux bénéfices réalisés par une société en commandite de droit allemand qui exerce son activité en Allemagne par l'intermédiaire d'un établissement stable ne peuvent être soumis à l'impôt, en proportion de ses droits dans cette société, qu'en Allemagne et, d'autre part, que la répartition effectuée au profit d'un associé commanditaire des bénéfices d'une société en commandite de droit allemand, qui est transparente fiscalement, ne saurait constituer un dividende au sens des stipulations de l'article 9 de cette convention, pour en déduire que les sommes perçues par la SAS Royal Canin de la société Royal Canin Tiernahrung GmbH et Co KG ne pouvaient être taxées en France, l'article 18 de cette convention, qui ne vise que les revenus non mentionnés aux articles précédents, n'étant pas applicable, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni donné aux faits ainsi énoncés une qualification juridique erronée.

7. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Masterfoods Holding au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du ministre de l'action et des comptes publics est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à la société Masterfoods Holding une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie et des finances et à la société par actions simplifiée Masterfoods holding.